Zane Lowe interview

Apple Music, 23 janvier 2025

Björk parle à Apple Music du concept de Cornucopia

Je pense que l’une des beautés dans le fait de vieillir, c’est que l’on devient comme le plafond d’une cathédrale. Il y a des milliers de pièces, et cela prend des années à réaliser. On essaie de tout intégrer, c’est une énergie très féminine et cohésive, veillant à ce que toutes les pièces soient là. Avec ce projet Cornucopia, j’étais impliquée dans tout. J’étais présente pour le mixage, le mastering, le montage. J’ai participé à chaque étape de ce processus. J’essaye vraiment de penser de manière holistique. Et puis, il y a l’autre côté de moi, qui est plus axé sur cette prise émotionnelle viscérale. Garder les choses authentiques.
Cornucopia... C’est aussi dans le nom même, non ? L’idée d’abondance : une réponse aux problèmes environnementaux auxquels nous faisons face, au patriarcat, une réponse à beaucoup de problèmes. Et la réponse est : ne vous arrêtez pas là. Nous avons en abondance. Nous avons des solutions. Nous pouvons recommencer à zéro. Nous pouvons aller sur une île avec des flûtes et des enfants, et nous perdrons peut-être beaucoup de notre espèce. La biologie est assez forte pour muter, et créer de nouvelles créatures qui survivront. C’est une chose optimiste, et la biologie peut y faire face. C’est donc une sorte de déclaration comique et farcesque sur toute la culture postapocalyptique qui existe. Cornucopia est une chose post-optimiste. Et donc j’ai combattu pour cela. C’est là que se trouvait mon cœur, à defendre cela. Nous avions d’un côté la blessure, elle brillait. Nous avions la révélation de cette brutalité. Mais il y avait la guérison, il y avait d’autres options. Nous avons le choix. Nous pouvons encore créer un nouvel Accord de Paris sur le climat et le suivre cette fois-ci.

A propos des avatars représentés dans le film-concert Cornucopia

C’est devenu une sélection des avatars que j’avais créés avec différents réalisateurs, depuis l’avatar de la vidéo du titre ‘Notget’ jusqu’à l’avatar de ‘Family’ de l’album Vulnicura, les avatars de ‘The Gate’ et de Utopia, puis ‘Losss’ et ‘Tabula Rasa’, jusqu’à ceux plus récent avec Nick Knight. Il y a donc une sous-histoire dans le film, celle de ces avatars, qui sont comme des marionnettes ou des poupées qui me représentent à différentes étapes…Parce que certains étaient en VR, d’autres dans des vidéos clips, d’autres encore ailleurs, réalisés par des personnes différentes avec des palettes de couleurs et des expressions émotionnelles différentes, réussir à tout intégrer en 90 minutes pour que tous apparaissent, c’était pour moi assez émouvant, de voir les avatars regroupés dans le film.

A propos de son processus d’écriture musical

« J’écris toujours une chanson par mois, ou tous les deux mois. Peu importe ce qui se passe dans ma vie, c’est comme la pleine lune ou juste un rythme, parce que je le fais depuis si longtemps. Donc, je pense qu’au moment où je sors un album, une partie de moi est soulagée et tellement lassée par le sujet que je suis super excitée de faire quelque chose de complètement opposé. Alors je commence à rassembler des informations, ej fais des recherches ou je m’intéresse à la technologie en cours. Mais, juste pour contredire ce que je viens de dire... je m’ennuie aussi très facilement, donc je ne veux jamais faire la même chose deux fois. Parfois, je vais d’abord écrire toutes les chansons, comme je l’ai fait pour Vulnicura, juste avec des arrangements de cordes, puis je passe à l’étape suivante. Ou parfois, je commence par quelque chose de complètement différent... Comme pour Utopia, en travaillant sur des arrangements de flûte pendant un an et en répétant avec des flûtistes dans ma cabane tous les vendredis, soudés en tant que groupe, devenant de très bons amis, et cela devient le cœur d’un album. Ensuite, je rajoute d’autres éléments par-dessus. Donc, je pense que c’est un mélange de tout ce qui se passe. Et pour ajouter une troisième perspective, juste pour contredire les deux autres, j’essaie aussi de ne pas être dirigée par la technologie. Je veux que l’artisanat soit... L’âme passe en premier et l’artisanat doit aider l’âme à s’exprimer. »

A propos de son utilisation de la technologie pour s’exprimer

Zane Lowe : J’ai eu l’impression que toi et peut-être une petite sélection de tes pairs, à une époque importante, avez trouvé un moyen de laisser la technologie trouver sa voix d’une manière différente. J’avais l’impression que nous essayions d’utiliser la technologie pour renforcer notre voix, et j’ai toujours voulu te demander si cela te parle. Tu cherchais la voix dans la technologie pour voir ce qu’elle avait à dire.

Björk  : Oui. Je pense que la façon dont je le vois, c’est que nous sommes tous comme des sous-marins, avec tellement de choses que nous pouvons exprimer, mais aussi beaucoup de choses que nous ne pouvons tout simplement pas exprimer. C’est inexprimable. Heureusement, certaines de ces choses, nous pouvons les exprimer à travers la musique, même si nous ne sommes pas nécessairement musiciens, que ce soit en dansant ou en écoutant de la musique chez nous. Mais j’ai toujours vu la technologie comme une sorte de clé magique qui peut atteindre des endroits auxquels les autres biais n’ont pas accès. Lorsque les écrans tactiles sont apparus pour la première fois, c’était comme : "Oh mon Dieu, je peux cartographier la musicologie." J’aurais aimé avoir un écran 3D quand j’étais à l’école de musique pour voir comment le contrepoint fonctionne en physique. C’est une chose régie par la gravité, pas quelque chose qu’on lit dans un livre. Donc, je pense que parfois, la technologie, évidemment nous l’avons créée, et parfois elle nous rattrape et nous permet de marquer quelque chose qui est en fait très... C’est comme boire de l’eau, ça rend les choses plus faciles. Comme je l’ai dit de nombreuses fois, j’étais si heureuse quand l’ordinateur portable est arrivé, et puis enfin quand on a pu enregistrer sur les sommets d’une montagne en randonnée en emportant son téléphone avec soi. Je me suis dit : "Wow. Enfin, avec la technologie, je peux aller dans la nature, et mon studio est dans la nature, pas dans un studio calfeutré sans fenêtres au centre d’une ville." Donc, je pense que la technologie nous rapproche lentement de la façon idéale dont nous voulons nous exprimer.

A propos de sa collaboration avec Sir David Attenborough

Zane Lowe : Quelle est la chose la plus mémorable que vous ayez apprise en faisant la connaissance de Sir David Attenborough et en passant du temps avec lui ?
Björk  : Je me souviens qu’une fois, nous étions sur un tournage au sous-sol du Musée d’histoire naturelle, et quelque chose s’est cassé, du matériel, et nous avons dû rester là pendant des heures à attendre qu’il soit réparé. Et il est resté assis là, et il avait évidemment le double de mon âge. J’étais complètement épuisée, de plus en plus épuisée à mesure que nous devions attendre. Je l’ai juste regardé et je me suis dit : "Putain de merde". En fait, je pouvais l’imaginer faire la même chose en Papouasie-Nouvelle-Guinée, parce que je parie que le matériel était toujours en panne là-bas aussi. Il fallait sans doute attendre sept heures pour un Oiseau de Paradis ou autre. Il s’est assoupi, il avait les yeux fermés, et puis c’était ‘action’ de nouveau. Il a alors immédiatement prononcé une tirade complète sans aucun script, le plus beau paragraphe que j’ai jamais entendu. Je me suis dit : « C’est quoi ce bordel ? » C’était juste le super pouvoir de l’orateur.

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