Critiques
Il est beau d’entendre Björk chanter Declare Independence sur une île Seguin battue par les vents d’hiver. Appel fiévreux à être soi-même, à porter haut son drapeau (chez l’Islandaise, ce qui est vrai pour une femme libre, l’est pour le Tibet), la chanson est extraite de Volta, magnifique travail musical édité sous forme d’un album en 2007. Après la passerelle piétonnière, une 4 CV Renault placée dans une vitrine cubique rappelle le passé industriel de l’île Seguin, convoitée par les prometteurs immobiliers et les amateurs d’art, mais toujours en friche. "Don’t let them do that to you... Make your own flag/Raise your flag", "higher higher", reprend la salle que Björk a fait mettre debout, pour le finale de son concert, jeudi 21 février.
Björk y présente le complexe Biophilia, un album, un concept, des créations parallèles et centrales (ce qui le différencie des concerts donnés pendant l’été festivalier), notamment des instruments de musique totalement "geek", dont le Testa Coil qui produit des éclairs, et le fameux synthétiseur Reactable, inventé par des Catalans, synthétiseur visuel, interactif et intuitif.
D’autres sont à l’image de l’artiste : un mariage de codes ancestraux, baroque (l’orgue et le clavecin) et de technologies virtuelles, numériques, galactiques. De même, c’est sur une tablette numérique high tech qu’elle a pu composer Nattura, livré en soutien au combat écologique en Islande et vantant la force de l’irréductible Mère nature (elle l’avait chanté avec Tom Yorke de Radiohead en 2008, et le présente ici en avant-dernier titre). Mais, a-t-elle déclaré, "il m’est facile de connecter l’énergie de la nature aux sons électroniques, parce que je suis Islandaise". Et peut ainsi nous aider à "collaborer avec la nature".
L’album était touffu, rébarbatif parfois à force de contorsions technologiques. Sur scène, c’est autre chose. Créé au Festival international de Manchester en juin 2011, avant parution de l’album, le projet Biophilia a évolué depuis, s’est élagué, a perdu en prétention, gagné en émotion. Après Reykjavik, Buenos Aires et New York, le voici défendu dans son intégralité à Boulogne-Billancourt, sous le chapiteau bicéphale du Cirque en chantier, préfiguration de la Cité des arts du cirque qui devrait sortir de terre en 2016 sur les anciens domaines du constructeur automobile Renault.
Dans la scénographie de Björk, il est beaucoup question des forces telluriques, de la lave, des volcans, de la séparation et des éventuelles collisions des continents. La scène est circulaire, l’endroit est magique, et la chanteuse affronte en femme libre, forte, solitaire, un auditoire acquis aux bizarreries de son art, incomparable.
Seule, malgré vingt-trois choristes islandaises, le chœur Graduale Nobili, un organiste hors pair, joueur de clavecin et de "gameleste" (un "gamelan céleste") Jónas Sen, un batteur fabuleux, Manu Delago, un programmateur de pointe, Mark Weisel, et un inventeur de son, Matt Roberson. Des écrans en cercles chamaniques, des pendules géants qui marquent des temps circulaires, et le vent peut bien souffler dehors, nous sommes chez Björk, dans un étrange pays où la voix est reine.
Très professionnelle, Björk ne pouvait laisser sa communauté sans nourritures terrestres : celles-ci proviennent de ses vies précédentes. De Volta, donc, mais aussi de Medulla (publié en 2004, l’album était un travail d’orfèvre sur la voix), de Vespertine (1997), ou de Post (1995).
Biophilia, le concept scénique qui nous aimante, pas l’album qui nous irrite, permet ainsi de mesurer l’unité de la carrière d’une artiste que l’engouement suscité notamment par Vespertine a parfois mis au rang d’image de marque. Que ceux-là mêmes qui en vantaient les mérites punk la considèrent aujourd’hui comme une écolo post hippie qui a peiné à soigner ses cordes vocales (un nodule et des annulations de tournée en 2012) importe peu. Deux heures à l’île Seguin avec Björk, ce sont deux heures d’ailleurs incertains, chercheurs, inventifs, recentrés.
source : Le Monde
L’artiste islandaise Björk a dévoilé jeudi soir, sur la scène du Cirque en Chantier sur l’Ile Seguin, son projet "Biophilia" qui explore les liens entre musique, nature et nouvelles technologies, jeudi lors de la première soirée d’une résidence parisienne de six concerts.
La chanteuse a publié en 2011 "Biophilia", album-concept dans lequel chaque chanson évoque un mécanisme scientifique et le rattache à une émotion humaine. Les dix chansons de l’album, certaines situées entre électro minimaliste et musique contemporaine, ont toutes fait l’objet d’une application sur iPad qui se veut à la fois outil de création musicale et animation scientifique à but éducatif.
L’introduction du projet "Biophilia" par le naturaliste David Attenborough (VO)
Six concerts et des ateliers pour enfants
Depuis, Björk emmène son projet à travers le monde, associant à chaque étape musique et pédagogie. C’est ainsi qu’à Paris, outre les cinq autres concerts prévus (les 24, 27 février et 2 mars sur l’Ile Seguin et les 5 et 8 mars au Zénith de Paris), Björk doit animer des ateliers avec des enfants à l’Ecole supérieure de physique et de chimie de Paris.Au Cirque en Chantier, le concert s’ouvre, comme l’album avec la voix off du naturaliste britannique David Attenborough, rapporte l’AFP. Au-dessus de la scène circulaire installée au centre du chapiteau, huit écrans diffusent pour chaque chanson des images reprenant les thèmes de l’album : les cycles de la lune, les mouvements de plaques tectoniques, des brins d’ADN et des constellations.
Harpe pendulaire et chorale islandaise
Autour de la scène sont installés les instruments : orgue et percussions, claviers et i-pods, ainsi qu’une harpe pendulaire de deux mètres créées par Björk et une bobine de Tesla dans une cage de Faraday qui descend à deux reprises du plafond et illumine le chapiteau d’éclairs.Une chorale islandaise d’une vingtaine de femmes occupe presque tout l’espace central, formant des petits groupes entre lesquels évolue Björk. Vêtue d’une robe couverte de boudins noirs scintillants, une folle perruque rousse, verte et rouge sur la tête, la chanteuse emplit le chapiteau de ses vocalises. La scène s’anime quand Björk lance des morceaux plus rythmés comme "Crystalline" ou "Mutual Core", sur lesquels elle est soutenue par les voix des choristes. Par leur chorégraphie, entre rave et danse tribale, elles donnent vie au concept de "Biophilia".
Les rares titres tirés de ses précédents albums "Hidden Place", "Possibly Maybe" ou "Pagan Poetry", qui se détachent par leur mélodie, sont les chansons les plus chaleureusement accueillies par le public, comme "Declare Independence", hymne à la liberté qui clôt le concert en feu d’artifice.
source : culturebox
Concert-événement : voyage au centre de Björk
La chanteuse islandaise a donné jeudi soir le premier de ses six concerts événements en France, sous un chapiteau de l’île Seguin, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).L’Ile Seguin, Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Un majestueux chapiteau blanc posé sur une île hybride nageant sur la Seine entre passé et présent, entre immeubles ultra-modernes et natures folles. Björk ne pouvait pas trouver lieu plus approprié pour héberger sa dernière folie, une série de concerts événements inspirés de son dernier album « Biophilia », sorte d’opéra futuriste mêlant la musique, la nature, les cinq éléments et le multimédia dans lequel on se perd parfois.
A Paris, où il se joue six fois *, le voyage au centre de Björk commence dès l’entrée sous le chapiteau, avant même de s’assoir dans les gradins. Alors qu’un orgue d’église nous accueille doucement, on s’arrête intrigué devant les instruments inconnus, dont le plus grand tient à la fois du puits de forage et du pendule, qui sont disposés sur la scène centrale circulaire, surmontée de huit écrans géants. Mais les lumières s’éteignent vite et deux femmes viennent sur scène demander qu’aucune photo ne soit prise pour ne pas briser l’ambiance - « vous en trouverez sur notre site internet dès demain » - et pour nous souhaiter « une jolie expérience ».
Une chorale et trois musiciens entrent sans bruit, la chanteuse islandaise apparait dans un tonnerre d’applaudissements avec une perruque afro et multicolore presque aussi fascinante que sa robe noire hérissée de tuyaux (où sont-ce des serpents ?) et probablement héritée de la saga de science-fiction « Dune ». Après une intro chantée par ses 22 choristes, des jeunes Islandaises aux allures d’elfes et aux voix d’anges, elle se lance ensemble dans une version de « Thunderbolt » boostée par une imposante cage de Faraday dont l’arc électrique crée des images et surtout des sons d’une puissance à rendre jaloux bien des groupes de métal.
Le son est excellent, impressionnant même. Björk, qui entrecoupe chaque titre d’un « Merci bien » ou « Merci beaucoup » enjoué, passe en revue « Biophilia » dans son intégralité. On sourit avec elle quand elle danse au milieu de ses choristes déchainées lors d’un « Crystalline » débridé. On la suit quand elle nous emmène dans la lune « Moon » ou quand elle joue « Dark matter » en changeant les sons sur une tablette posée devant elle, on est pris au coeur par « Cosmogony », le sommet mélodique de son album. Mais on perd un peu le fil sur trois ou quatre titres arides, tels « Hollow » ou « Virus », où à part sur les écrans géants qui diffusent des images de globules ou de la planète, il ne se passe pas grand chose.
Dans ces moments, ce sont les vieux classiques - qu’elles distillent avec parcimonie, comme ses collègues de Radiohead - qui nous ramènent dans son univers magique. Interprétées avec la force et la grâce des choeurs féminins, « Hidden’s place » et « Pagan poetry », de l’album « Vespertine », rappellent combien Björk sait composer des mélodies à la fois exigeantes et populaires. Et combien elle ne fait rien comme les autres. Lorsque la plupart des artistes emportent de l’eau ou de la bière sur scène, l’Islandaise boit une drôle de mixture laitière dans un gobelet en plastique.
Emportés par une voix d’une force et d’une liberté elles aussi uniques, les spectateurs, dont beaucoup de couples, sont sous le charme. « On a l’impression d’être dans un autre monde, elle nous transporte », résument Fanny et Eugénie, deux Parisiennes trop heureuses de voir enfin leur chanteuse. Mais c’est aux rappels, après une heure et demie de concert, que se produit vraiment le déclic entre le public et la chanteuse, revenue avec une robe avec un verre de champagne et une charmante robe grise hérissée de sortes de coquillages plastifiés.
Lorsque Björk propose de se lever et, si le coeur nous en dit, de danser sans frein, l’effet est immédiat. « Possibly maybe », la plus ancienne chanson du show, issue de son premier album (« Post », en 1995), provoque chez ces certains une incroyable danse de Saint-Guy, tout comme « Nattura », sa dernière ode à la planète très rythmée, et « Declare independence », où les 1 200 spectateurs soudain éclairés, la chanteuse et ses choristes se répondent en hurlant « Higher, higher » - « plus haut, plus haut » -, et en tendant les bras dans une joyeuse communion. C’est le meilleur moment du voyage. Mais malheureusement le dernier.
source : Le Parisien
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– 21 Février - Cirque en Chantier
– Résidence Biophilia à Paris en 2013