Il était donc écrit qu’elle ne ferait jamais rien comme les autres. Rien que pour ça, chapeau bas. Björk n’a jamais eu qu’une obsession : se construire un monde à elle, des mondes, plutôt. Cette fois, culottée comme jamais, elle a choisi de quitter la planète instruments pour s’inventer un astéroïde extraordinaire, un espace aux contours inédits où seules des voix, toutes sortes de voix, auraient droit de cité (quelques percussions électroniques et séquences de basse minimalistes ont toutefois été tolérées ici ou là). Il fallait du courage, bien sûr, pour réduire de manière aussi radicale la palette de couleurs autorisées. Il fallait surtout une intuition épatante (et un art remarquable de la mise en son) pour pressentir que quelques organes psalmodiant en totale harmonie - des ouuh, des aaah, des grrr, des wiiizzz, des voix d’église, de cabaret, de fond de piscine... - pourraient produire pareil impact, pareille musicalité. Des chansons comme Pleasure is all mine, Vökuro ou Submarine sont si joliment parées qu’on en oublie très vite qu’elles sont à moitié nues. Peu importe alors que cet ovni sonique connaisse ou pas le succès (ceux que l’Islandaise énerve ne changeront pas d’avis), Medúlla est d’ores et déjà un triomphe - son triomphe.
Medúlla, la nouvelle planète
Télérama n°2850, 28 août 2004par Emmanuel Tellier publié dans Télérama n°2850