Utopia ★★★★

Télérama n°3541, 21 novembre 2017

En pleine résurrection, la chanteuse retrouve foi en l’amour et échafaude une œuvre incantatoire à son image. Radicale, exigeante et lumineuse.

Ne vous fiez pas à la pochette terrifiante qui n’aidera pas à ramener vers elle ceux qui ont lâché l’affaire depuis un moment. Car Björk, malgré les apparences, va mieux. Comme libérée, elle s’aventure plus encore dans ce paysage musical qui n’appartient qu’à elle, cette pop différente, qui se passe de conventions et de codes rassurants. Human Behaviour ou Army of me, ses tubes entraînants des débuts, sont, dans la forme, loin, très loin. Utopia, album dont l’écoute pourra paraître interminable et oppressante à une oreille distraite en quête de légèreté, est une longue incantation en quatorze chansons et trois mouvements. Une fable de la reconstruction. Le bouleversant journal de bord d’une femme anéantie affectivement il y a trois ans, qui retrouve une foi, plus physique que mystique, dans l’amour. Et la force de s’y atteler.
A l’instar de Kate Bush avec Aerial (un de ses rares modèles désormais évident), en plus radicale et sauvage, Björk construit, avec l’indispensable concours complice d’Arca, le brillant paysagiste sonore vénézuélien, l’univers musical qui est le sien, en phase avec sa nature, la nature, ses sentiments et son imagination. Des sons, tantôt organiques, tantôt synthétiques, tissent une électro primitive dominée par la flûte et les chants d’oiseaux pour accompagner les incantations d’une chanteuse, qui pense à voix haute, détaillant ses interrogations et sa métamorphose sous forme d’auto-injonctions qui la poussent à aller de l’avant. A oser œuvrer à une harmonie possible, même si utopique. L’écoute attentive d’une œuvre aussi personnelle, exigeante et courageuse s’avère, à ceux qui voudront bien s’y abandonner, lumineuse. Utopia rejoint alors, dans l’esprit et par son intensité, un autre album majeur de renaissance, bâti sur la douleur : le vibrant Skeleton Tree, de Nick Cave.

par Hugo Cassavetti publié dans Télérama n°3541